« Le Golfe Persique est comme le nom de famille pour les Iraniens »

De nombreux écrits le présentent comme une réalité historique. Exemple avec les auteurs de l’Atlas historique du Golfe Persique (édition Brepols), fruit d’une collaboration entre l’École pratique des Hautes études de Paris, l’Université de Téhéran et le Centre de documentation du MAE iranien, publié il y a une dizaine d’années, qui écrivent : « La cartographie occidentale du Golfe Persique révèle une vérité historique importante : depuis l’antiquité gréco-romaine, cette région maritime a toujours été connue par sa nomination d’origine : le « Sinus Persicus » des Latins qui devient le « Golfe Persique » dans les langues modernes européennes. »
Dans son abécédaire de l’Iran (« L’Iran de A à Z », édition André Versaille), Mohammad Reza Djalili, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, fait le même constat et énumère les différents noms attribués à la zone à travers le temps. Là encore, l’évocation à la Perse de l’époque est systématique :
Bref, un « golfe toujours Persique » écrit Mohammad Reza
Djalili. Le tout premier à avoir associé la Perse à cette étendue d’eau
aurait même vécu au Vème siècle avant Jésus-Christ. Il s’agit d’un
certain Darius le Grand (550 av. J.-C.-486 av. J.-C.), de la dynastie
des Achéménides, qui aurait déjà parlé à l’époque de « la mer qui part de la Perse ».
Une simple recherche sur la Bibliothèque numérique mondiale ou sur Gallica
permet de constater que sur les cartes d’avant XXème siècle, il est
question de « golfe Persique ». Cette appellation a été reprise au
siècle dernier par différentes entités internationales. C’est le cas de
l’Organisation hydrographique internationale qui parle, dès 1953 dans
ses « Limites des océans et des mers » (non réédité depuis), de « Golfe d’Iran » ou « Golfe Persique ». Même constat du côté des Nations unies dans leurs cartes officielles. Cette même ONU qui, en 2006 à l’occasion d’une réunion d’experts sur les noms géographiques, a sorti un rapport formel sur la « validité historique et géographique » du nom, en s’appuyant sur plus de 2 500 ans de données. Il est noté que les « spécialistes
ne trouveraient pas meilleur nom que « golfe Persique » parce que
l’Iran est le plus grand pays touchant cette étendue d’eau et qui
possède la plus longue côte ».
Mais alors, pourquoi « golfe Arabique » ? Le rapport de l’ONU note
que dans les années 1960, avec la rupture des relations entre l’Iran et
l’Egypte, les pays arabes ont commencé à réclamer un changement de nom.
« Sans doute poussé par un nationalisme expansif et un panarabisme militant, suggère Mohammad Reza Djalili, les
dirigeants arabes comme Nasser (Egypte) et Kassem (Irak) ont adopté le
terme de « golfe Arabe » que tous les pays arabes ont, ensuite, repris à
leur compte. » Ainsi naît, en 1981, le Conseil de coopération des
États arabes du Golfe, aujourd’hui en crise avec la relation
Qatar/Iran, en faisant « tomber » l’adjectif « Arabique ». Cette
revendication a depuis lors fait naître une appellation nouvelle, censée
être conciliante : le « golfe Arabo-Persique ». Une expression encore
aujourd’hui utilisée dans certains papiers de médias français (Le Point, Libération, Le Monde)…
En 1970, un journaliste du Monde diplomatique a eu le malheur de parler de « golfe Arabique ». Il avait reçu une réponse cinglante de la conseillère du service presse de l’époque à l’ambassade iranienne, estimant qu’une « déclaration pareille [relevait] de la propagande outrancière ». Ce qui n’avait pas empêché le journaliste de répondre en mettant en avant que « la
carte de l’atlas de Mercator (1595) portait la mention « sinus arabicus
» (golfe Arabique) » et que « dans le cadre d’une solution de
compromis, on pourrait appeler le golfe « Arabo-Persique ». Cette mention a effectivement été reprise par plusieurs cartes.
Cet
échange avec le Monde diplomatique est loin d’être le seul exemple de
l’agacement côté iranien dès lors que le nom du golfe voisin est
« écorché ». En 2004, la revue National Geographic avait provoqué un
tollé en ajoutant, sous cette mention, « golfe Arabique » en plus petit
et entre parenthèses, dans son atlas du monde. « Le golf Arabique est reconnu par nombre d’entités comme une appellation alternative », s’était défendu le média
à l’époque, justifiant cette double mention, primaire et secondaire.
Plus récemment, en 2012, Téhéran avait menacé de porter plainte contre
Google en réponse aux références affichées sur son logiciel de
cartographie. Aujourd’hui encore, une recherche « golfe Persique » dans
Maps fait apparaître la mention accompagnée du « golfe Arabique »,
indiquée juste en-dessous, de la même taille et entre parenthèses. « Golfe Persique (aussi appelé ‘golfe Arabique’) », précise le moteur de recherche américain.
C’est
donc tout sauf un hasard si, au début des années 2000, l’Iran, dans une
optique de réaffirmation, a été jusqu’à instaurer une… journée
nationale du golfe Persique.
Preuve que cette guerre des mots est toujours bien d’actualité, outre la réaction iranienne à l’issue du discours de Trump, le site « persianorarabiangulf.com » par exemple, en ligne depuis plus d’une décennie. Cette page à la présentation simpliste donne des arguments en faveur d’un camp ou de l’autre. « Pourquoi golfe Arabique ? Parce qu’il est utilisé par la ligue arabe, le nom ‘golfe Persique’ est lié à l’empire Perse qui n’existe plus. Ce serait comme si la mer Méditerranée était toujours appelé le mer Romaine. » Un sondage, sans aucune valeur scientifique, sur le nom préféré des deux montre un quasi 50/50 avec près de 5 millions de votants.
Aussi en 2006, la Fédération iranienne de football, sport le plus populaire dans le pays, décide de changer le nom de sa « Ligue pro Iran » en… « Coupe du golfe Persique ». Depuis 2014, on parle même de la « Ligue pro du golfe Persique ». Un an plus tôt, dans ce qu’on pourrait qualifier de « deuxième vague d’appellation du golfe Arabique », un courant bien moins d’actualité dans les années 1990, les Émirats arabes unis renomment leur propre ligue de football en « Ligue du golfe Arabique ». Coïncidence saisissante. « Nous prêtons allégeance au golfe Arabique, cœur des origines arabes », défendait le responsable, à l’époque. Outre le champ du football, la Libye a sa Compagnie pétrolière du golfe Arabique, le Bahreïn compte également son Université du golfe Arabique… Là où la ville iranienne de Bouchehr a également son Université du golfe Persique et où Shiraz a récemment ouvert un centre commercial du même nom !
Le comble de toute cette affaire remise à la une il y a quelques jours, avec ce qui s’apparente à une improvisation ou une provocation bien calculée de Donald Trump, est que dans le communiqué final de la Maison Blanche post-discours, il est bien question… de « golfe Persique » ! Un terme utilisé par tous les prédecesseurs de Trump, de Ronald Reagan à Barack Obama, en passant par Bill Clinton et les Bush. Même si certains ont aussi employé le mot « Golfe » tout court. Pour désigner les conflits irakiens dans lesquels les États-Unis étaient impliqués, on parle d’ailleurs de « guerres du Golfe », sans qualificatif.
L’appellation « golfe Persique » n’est en tout cas pas inconnue chez l’actuel président américain. Lors d’une interview télévisée, il l’avait lui aussi employé. C’était il y a 30 ans. À l’époque, il ne voulait pas être président.
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