Narges Abyar, première réalisatrice iranienne présélectionnée aux prochains Oscars : « ‘Nafas’ est un film de paix »

En 2012, Asghar Farhadi faisait
une entrée fracassante sur la scène cinématographique internationale en
remportant l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, pour « Une
séparation ». Cinq ans plus tard, en février dernier, bis repetita pour
le réalisateur qui empochait sa seconde statuette avec « Le Client ».
Narges
Abyar va-t-elle s’inscrire dans cette même dynamique iranienne au plus
prestigieux des rendez-vous cinéma ? À 46 ans, cette réalisatrice vivant
en Iran vient d’être choisie pour représenter le pays à la prochaine
cérémonie. Une première pour une réalisatrice iranienne.
Son film « Breath » (« Nafas » en persan), son troisième, récemment primé à l’international,
raconte l’histoire de Bahar, une petite fille d’un milieu modeste, qui
vit de loin la Révolution de 1979 en cours, puis les débuts de la guerre
Iran-Irak. Alors que l’Histoire s’écrit dans le même moment, le film
propose un véritable voyage dans l’innocence et l’imagination débordante
d’une petite fille, dans son monde à elle.
Lettres
Persanes : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris votre
« pré-sélection », que votre film représentera l’Iran aux prochains
Oscars ?
Narges Abyar : J’ai appris la nouvelle via les
médias, sur Instagram et via mon mai qui est producteur. J’étais très
heureuse et très fière. Ça a d’autant plus de valeur que je suis la
première réalisatrice iranienne à être nommée comme candidate. Il y a un
peu de surprise, oui. Mais je pense que le jury a reconnu dans ce film,
la vision d’événements très importants qui retrace la culture
iranienne, à travers les yeux d’une petite fille. C’est un film de paix,
où l’on voit l’impact de la guerre sur une enfant innocente qui n’a
rien demandé. Je pense que c’est ce qui a plu le jury.
LP : Être présélectionné, est-ce déjà une fin en soi ?
NA
: Évidemment, c’est déjà très bien de l’être. Mais chaque réalisateur
veut voir son film être récompensé aux Oscars. Cette présélection est
une opportunité pour donner plus d’écho à un film sur l’enfance.
LP
: Que votre compatriote Asghar Farhadi ait déjà remporté deux fois
l’Oscar du meilleur film étranger peut-il, d’une manière ou d’une autre,
jouer en votre faveur ?
NA : Ça peut être une aide.
Mais je sais que je suis en compétition avec des films qui ont déjà
gagné beaucoup de prix, dont l’Ours d’or (Festival international du film
de Berlin).
LP : Comment le film a été accueilli en
Iran ? On sait par exemple que l’ayatollah Ahmad Alamolhoda, qui dirige
la prière à Mashhad, a estimé que « ce film montrait précisément ce que nos ennemis de l’Ouest voulaient faire ».
NA
: Il y a eu deux réactions. Ceux qui l’ont d’abord vu comme un film
autour de la paix. Et ceux, chez une partie des conservateurs, pas tous,
qui ont reçu le film comme une opposition aux valeurs de la défense du
pays. Je fais référence à la fierté de la défense du pays durant les
huit années de guerre avec l’Irak (1980-1988). Ils estiment qu’il y a
une critique alors qu’il n’y a justement aucun reproche dans mon propos
par rapport à ces huit années de l’histoire. Ils estiment qu’un film
anti-guerre est forcément un film anti-défense.
L’autre reproche qui m’a été formule est « Pourquoi montrer la pauvreté en Iran ? »
C’est le reproche qui est fait à beaucoup de films iraniens connus à
l’international. J’ai fait ce choix car ce niveau de vie existait en
Iran il y a 30 ans. Et les gens « fêtaient » ce niveau de vie. Moi-même
je viens de cette « classe » dans la société iranienne, je comprends
bien ces gens-là.
LP : Faut-il y voir une forme autobiographique ? Notamment dans le personnage de « Bahar » ?
NA
: Il y a une part de fiction, mais une partie importante est liée à mes
propres expériences et celles de mon entourage, effectivement.
LP
: Votre film est basé sur un roman que vous avez écrit par le passé.
Comment est née cette envie de passer de l’écriture pure à l’écriture
cinématographie et le cinéma ?
NA : Je n’avais aucune
idée que j’allais faire un film sur le sujet ! J’ai été surprise que la
production me propose d’en faire un film. Elle a vraiment insisté, je
n’étais pas très favorable car cela me paraissait compliqué
d’interpréter le roman. Il est vraiment basé sur le regard de l’enfant,
avec beaucoup d’imagination. Alors j’ai fait appel au dessin animé
(plusieurs passages du film) pour traduire l’esprit enfantin.
LP
: Un mot sur vos personnages clés. D’un côté on voit cette grand-mère
très dure et traditionnelle, et de l’autre, cette petite fille qui a
l’air d’être dans son monde, qui a l’air plus attirée par les livres de
contes que par l’école coranique. Quel message avez-vous voulu faire
passer ?
C’est vrai qu’il y a une confrontation entre
les deux personnages. La grand-mère a une vision figée de l’islam. Mais
moi je pose un regard folklorique dessus, et pas sociologique. Je montre
cette grand-mère et des célébrations de l’Achoura par exemple. Et en
même temps il y a cette petite fille très ouverte. Cet enfant n’a pas de
background, de préjugés sur le phénomène religieux. C’est la
raison pour laquelle elle est libre, voire émancipée. Elle veut lire,
jouer avec les garçons alors que la grand-mère lui défend de le faire.
Cette confrontation peut être vue comme une métaphore de la société iranienne, entre la tradition et l’envie de liberté.
LP : Pourquoi avoir « mis au défi » Donald Trump de regarder ce film ?
NA : C’est une question qu’on m’a posée dans le contexte d’une
interview. J’ai simplement répondu qu’en tant que femme iranienne, on ne
me laisse pas l’occasion de participer aux Oscars. Ces politiques (une
référence au « muslim ban ») créent des frontières alors que la culture
et le cinéma en particulier peuvent les enlever. Si Trump regardait ce
film un jour, peut-être qu’il n’aurait pas envie de déclencher une
guerre avec l’Iran. Car voir cet enfant qui n’a rien demandé lui fera
peut-être changer d’avis.
LP : Comptez-vous vous rendre à
la cérémonie si vous êtes retenue ? Ou boycotter comme l’avait fait
Asghar Farhadi lors de la dernière cérémonie ?
NA : Pour le moment je ne sais pas. Je verrai le moment venu.
LP
: À l’étranger, les réalisateurs iraniens les plus connus s’appellent
Abbas Kiarostami, Asghar Farhadi ou encore Jafar Panahi. Les femmes
comme vous ou la célèbre Rakhshan Bani-Etemad vont-elles finir par
émerger au niveau international ?
NA : Il y a de plus
en plus de réalisatrices iraniennes qui vont poser un regard
nécessairement plus féminin sur les choses. Elles méritent d’être plus
regardées et retenir davantage d’attention. C’est déjà plus ou moins le
cas en Iran, mais pas encore au niveau international.
Pratique : la 90e cérémonie des Oscars aura lieu le 4 mars 2018 à Los Angeles. Il faudra attendre le 23 janvier prochain pour connaître les nominations dans chaque catégorie. D’ici là, Narges Abyar pourrait venir à Paris dans les prochaines semaines pour une projection.
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